Nicolas Dieterlen
Retour à PAGES PREMIÈRES
l'automne
confinement des légendes
et début des toux
les antibiotiques laissent un goût aigre
à toute la flore
et remontent le long
d'œsophages de bois détruits
dans les troncs maigres
vides
leurs écorces partent en fumée
comme ça
sans feu
sans rien
ses racines
nids de varices
grimpant les unes sur les autres
peinent à le supporter
lui qui ne supporte plus rien
déraciné perdu
comme un exilé
dans une forêt sans air
il étouffe
cette forêt
où chacun vit pour sa pomme
et même
se disputant le trognon dans un supermarché
aux rayons pleins
où chacun
tire la couverture à soi
pour finir les pieds devant
froids
en espérant partir
avec la peau de l'autre
de l'ami devenu étranger
l'ours d'à côté
(25 mars 2020)
la fatigue des culées
toute sa vie
elle a traîné sa patte
sur les dalles froides
sans plaintes
les derniers temps on la retrouvait aussi
elle et ses pantoufles
sur les feuilles du bosquet
là où elle se croyait chez elle
avec ses tentures automne sur les murs
elle traîne la fatigue des culées
qui supportent les ponts
les pierres comme le cœur
serrées
une vie passée à soutenir
une famille menaçant de s'écrouler
à tout moment
et de tomber à l’eau
toujours à donner le change
comme certains chats
se cachent et se tapissent
pour partir
sans faire d’histoires
entrée à hôpital
pour un souffle incertain
ce ne fut qu'une suite d'effondrements
une chute de dominos
le dernier devant le gouffre
froid et manque de lumière
son corps isolé dans ce cube de béton
dont les murs sont imprégnés de souffrance
comme le 2bis avenue de Royat*
à Clermont-Ferrand
un pouvoir dégénéré
sur un corps qui ne demande qu'à s'en aller
avec ses toiles d'araignée
les fils de tristesse sur ses jambes
que la vie a filés
de malheur de malheur
elle n’a jamais réclamé le pull
qui lui a toujours manqué
elle n'aura pas le temps
de défaire cet ouvrage
pour avoir cinq minutes de paix
et poser son regard au loin
sur la digue
*siège de la gestapo à Clermont-Ferrand
quand la nuit
est tombée sur leurs esprits
comme des éphémères
ils se sont cognés au feu d’une lampe
un rythme de batterie pauvre
des malheureux prisonniers d’une secte
confier ses rêves à un gourou
pour construire un château de cartes
sans joker
il aura fallu que le vent souffle
pour qu’on les retrouve trop calmes
au milieu des racines et des fougères
petit à petit
ils ont mis fin à leurs esprits calcinés d'illusions
faire le grand saut
avec une pied coincé dans un piège
une patte de lapin rongée jusqu’à l’os
naïvement sur leur cœur
d’une course à la médaille
ils n’en ont eu que le revers
et toujours le vent qui souffle
sur la misère
I
le foehn souffle
sur mes feuilles à phanères
elles se mélangent en désordre
sur le sol
cadeau de l'automne à sa terre
ces feuilles
étoiles de terre orphelines
tombées dans l'anonymat
forment le réseau de nervures
de l'humus
des feuilles qui se donnent la main
pour tenir jusqu'au bout
telle des étoiles jaunes
privées de lumière
mais fabuleuses
petit à petit je perds
des morceaux de moi- même
puzzle que l'on démonte
je deviens translucide
bulle emportée au gré du vent
bientôt mon esprit se disloque
comme un petit personnage de sable
sous la pluie
un corps qui vieillit et se désagrège
juste le temps d'un film
II
quel est le contraire de l'ubiquité ?
j'entends des bourdonnements
dans les tuyaux qui filent au loin
comme des autoroutes
sur les murs une multitude de dessins
hiéroglyphes
et écritures cunéiforme
je connais le sens des motifs
comment peut-on connaître une langue
sans l'avoir apprise?
mes interrogations se heurtent à ces murs
les griffonnages sur le mur semblent flotter dans l'air
en relief
parfois ils apparaissent et disparaissent
l'érosion des murs
creuse des sillons
où il ne pousse plus rien
que le souvenir de la blessure
laisser une trace de passage
même à travers des symboles
c'est l'élément central de l'Homme
peut-être que tout cela à été dessiné
pendant un temps pluvieux
où la brume s'accroche
aux montagnes de l'esprit
des personnes en quête d'origines
dans d'autres réalités
mais quand le vent décape les murs
il ne reste qu'un souvenir du voyage
blanc comme la mort
qui se dissout au soleil
comme un acide dans la bouche
sous le lit
une petite flûte
je me rappelle que
certains peuples en jouaient
pour communiquer avec le monde des esprits
avaient-ils besoin d'aide?
pourquoi tout cela ici?
à la croisée des chemins
des cartes en pagaille devant moi
sans sens logique
III
j'étais là
à voir disparaître ses pas
l'herbe qui avec le temps
les recouvre doucement
les printemps mortuaires
semblent dissoudre
mon souvenir de ses visites
elles s'égrainent
comme les fruits se gâtent sur l'arbre
il ne faut parfois pas manquer le coche
sinon après il n'y a que des regrets
et des guêpes plein le jardin
dans ses prières
il y a à boire et à manger
peut-être que j'aurais préféré
pour lui
un cri
cela lui aurait fait du bien
le pauvre