du 1er octobre au 31 décembre 2020
Assise
ses mains côte-à-côte sur son visage
comme un radeau de fortune
ne peuvent contenir sa peine ce matin-là
la neige fond sous ses chaudes larmes
ses deux fils perdus en mer
n'ont laissé dans leur sillage
qu'une épave noyée dans les grandes eaux
14 octobre
après avoir perdu le cap
j’ai échoué sur un morceau de terre
près d'une falaise surplombant la mer
ici tout le monde a faim et soif
nous ne vivons plus
"plus vraiment"
à demi-réveillés
nous courons derrière la raison
qui pourtant nous emboîte le pas
nous chargés de béquilles
qui nous embarrassent et nous rendent tellement gauches
un tableau indique l’heure de sortie et de rentrée des bateaux
mais d'autres ont pris le large pour de bon
comme on tourne les talons
leurs vies ne tenant qu'à un fil
sur la terrasse aux images de faïence héroïques
je vois parfois d'autres formes qui n’existent pas
le vent les balaye ainsi que les aiguilles de pins inutiles
mariage de raison entre deux âmes au cœur sec
les murs aussi sont parfois de travers
et des ombres singent des formes et meurent quand on les regarde
tapis dans le fond de la pièce
à vous rendre fou
il ne me reste qu'un vague souvenir du courant
brûlant sur les disques de mes vertèbres
même accompagné je ne chanterais plus
un matin j'ai mis mon thé sur le rebord de la fenêtre
entre terre et mer
j'ai fini par l'oublier
et je suis parti
22 octobre
à sa fenêtre
des fleurs fanées et des regards chagrins
son chariot cagneux au rez-de-chaussée
est chargé de batteries pauvres
de ressorts rouillés
à vendre contre un billet de train
regard oblique qui s'oublie sur le sol
ses mains sont comme les pattes d'un canard l'hiver
dans l'eau glacée
il a troqué sa peau de chagrin
contre un appartement exigu
ses pensées pleurent jusqu'à terre
pétales de fleurs et larmes de joues
pique racle revers de peau
sans amertume
qui voudrait fumer une cigarette
au goudron refroidi
à part ceux qui meurent
son insomnie jamais ne se couche
éternellement en vacances
il est chargé de bagages
et de projets ne débouchant
que sur l'aube
27 octobre
un sacré boulot
celui de perdre des plumes chaque hiver
les arbres ont leurs yeux brûlés
la fumée emporte le feu
ses braises refroidies par le deuil
dorment d'un demi-sommeil
il cherche à rappeler le moment suspendu
et reste les mains creuses avec un bonheur
fait de girouettes grises
le joueur de guitare à terre
13 novembre
les nuits
d'invisibles spectres de farine
recyclent des sacs de suie
alors que l’asthme du vieux monde
retient son souffle
1er décembre
nous souhaitons marcher
là où la terre se dérobe
et les montres se perdent
pour n’avoir plus rien à quoi se raccrocher
que l'écho sauvage du soleil derrière les bouleaux du bosquet
et l'appel furtif et inconnu de notre mémoire des jours futurs
pourtant il n'y qu'absence et déception derrière le bois
seule reste la promesse d'une balade
pour arpenter les lignes et les courbes détachées de leurs supports
sur un tableau ou une gravure
un appel à écrire un poème qui restera inachevé et imparfait
21 décembre