RÉSIDENCE VIRTUELLE : Nicolas Dieterlen

du 1er octobre au 31 décembre 2020

Assise 

 

ses mains côte-à-côte sur son visage 

 

comme un radeau de fortune

 

ne peuvent contenir sa peine ce matin-là

 

la neige fond sous ses chaudes larmes 

 

ses deux fils perdus en mer 

 

n'ont laissé dans leur sillage

 

qu'une épave noyée dans les grandes eaux

 

14 octobre

 

 

 

 

après avoir perdu le cap

 

j’ai échoué sur un morceau de terre

 

près d'une falaise surplombant la mer 

 

 

 

ici tout le monde a faim et soif 

 

nous ne vivons plus

 

"plus vraiment"

 

 

à demi-réveillés 

 

nous courons derrière la raison

 

qui pourtant nous emboîte le pas

 

 

 

nous chargés de béquilles 

 

qui nous embarrassent et nous rendent tellement gauches

 

 

 

 

un tableau indique l’heure de sortie et de rentrée des bateaux 

 

mais d'autres ont pris le large pour de bon

 

comme on tourne les talons

 

 

leurs vies ne tenant qu'à un fil

 

 

sur la terrasse aux images de faïence héroïques

 

je vois parfois d'autres formes qui n’existent pas 

 

le vent les balaye ainsi que les aiguilles de pins inutiles 

 

mariage de raison entre deux âmes au cœur sec

 

 

les murs aussi sont parfois de travers

 

et des ombres singent des formes et meurent quand on les regarde

 

tapis dans le fond de la pièce 

 

à vous rendre fou

 

 

il ne me reste qu'un vague souvenir du courant 

 

brûlant sur les disques de mes vertèbres 

 

même accompagné je ne chanterais plus

 

 

 

 

un matin j'ai mis mon thé sur le rebord de la fenêtre 

 

entre terre et mer

 

j'ai fini par l'oublier 

 

 

 

et je suis parti

 

22 octobre

 

 

 

 

à sa fenêtre

 

des fleurs fanées et des regards chagrins

 

 

son chariot cagneux au rez-de-chaussée

 

est chargé de batteries pauvres

 

                     de ressorts rouillés

 

à vendre contre un billet de train

 

 

regard oblique qui s'oublie sur le sol

 

 

ses mains sont comme les pattes d'un canard l'hiver

 

dans l'eau glacée

 

 

il a troqué sa peau de chagrin 

 

contre un appartement exigu

 

 

ses pensées pleurent jusqu'à terre

 

 

pétales de fleurs et larmes de joues

 

pique racle revers de peau 

 

sans amertume

 

 

qui voudrait fumer une cigarette

 

au goudron refroidi

 

à part ceux qui meurent

 

 

son insomnie jamais ne se couche

 

éternellement en vacances

 

il est chargé de bagages

 

et de projets ne débouchant

 

 

que sur l'aube

 

27 octobre

 

 

 

 

un sacré boulot

 

celui de perdre des plumes chaque hiver

 

 

les arbres ont leurs yeux brûlés

 

 

la fumée emporte le feu

 

 

ses braises refroidies par le deuil

 

dorment d'un demi-sommeil

 

 

il cherche à rappeler le moment suspendu

 

et reste les mains creuses avec un bonheur

 

fait de girouettes grises

 

 

le joueur de guitare à terre

 

13 novembre

 

 

 

 

les nuits

 

d'invisibles spectres de farine

 

recyclent des sacs de suie

 

alors que l’asthme du vieux monde

 

retient son souffle

 

1er décembre

 

 

 

 

nous souhaitons marcher

 

là où la terre se dérobe 

 

et les montres se perdent

 

 

 

pour n’avoir plus rien à quoi se raccrocher 

 

que l'écho sauvage du soleil derrière les bouleaux du bosquet

 

et l'appel furtif et inconnu de notre mémoire des jours futurs

 

 

 

pourtant il n'y qu'absence et déception derrière le bois

 

seule reste la promesse d'une balade 

 

pour arpenter les lignes et les courbes détachées de leurs supports

 

sur un tableau ou une gravure

 

un appel à écrire un poème qui restera inachevé et imparfait 

 

21 décembre