Résidence virtuelle 5: Isabelle Marcelin (1er octobre au 31 décembre 2018)

aux éditions du frau: Il ne suffit pas d'un tas de cendres pour faire un homme (texte de Corinne Le Lepvrier) (n° 15 , collection ordinaire)

                                                                  Lui, Les mots (texte d'Igor Chirat) (n° 3, collection Bêtes noires)

Isabelle Marcelin est plasticienne. Elle a longtemps travaillé pour le théâtre comme accessoiriste et metteur en scène.

Elle vit et travaille dans le Cézallier, à mi-course du plateau et de la vallée de l'Alagnon. 

Elle se promène cette année entre ce paysage et celui urbain de la Limagne, à Clermont-Ferrand.

Elle écrit aussi des chansons.

 

Invitée par Odile Fix à résider virtuellement sur le site des éditions du frau, du 1er octobre au 31 décembre 2018, Isabelle Marcelin invite à son tour son hôtesse pendant le dernier mois de cette résidence.

 

Le mois de décembre sera donc dessiné, écrit, photographié, commenté, en répons de l’une à l’autre, et inversement.

Pour le visiter, cliquer ici

 


Vendredi 30 novembre

C’est aujourd’hui la fin d’un mois.

Il s’appelle novembre, car il était, chez les romains,

le neuvième mois de l’année. Si nous avions gardé le calendrier républicain,

nous serions le 10 frimaire de l’an 227. En Thailande, c’est l’année 2561.

En Chine, c’est le 22ème jour 10 ème mois de l’année wu-xu.

Enfin bref, nous sommes toutes et tous .

 

Demain, 1er décembre du calendrier grégorien

dont nous nous servons ici sous le ciel de Clermont Ferrand,

commence le 3ème mois de la résidence virtuelle à laquelle Odile Fix m’a invitée.

Je n’y serai plus seule, car je l’y invite, à mon tour.

Nous ne savons pas ce que nous y trouverons,

Nous savons que nous y chercherons, en répons.

Car c'est ainsi que nous respirons aussi. En cherchant.

 

 


Jeudi 29 novembre

Chantiers à poursuivre

 

Madame obus

 

J’ai commencé un jour à inventer en dessins la vie d’une femme qui se cache

sous une enveloppe dans laquelle elle peut bouger librement.

Ça a donné un personnage en forme d’obus, ou de pain de sucre.

Un personnage qui décide d’échapper aux discours sur la transparence, et au fichage satellitaire, et qui rit sous cape du mystère qu’il cache.


La réalité des débats et des interdictions autour du voile intégral porté des femmes de confession musulmane m’a rattrapée.

Avec ces dessins, je n’avais pas idée de participer au débat sur le voile, et encore moins de critiquer les femmes qui le portent. Je préfère leur parler, en ce cas.

Mais ça me semblait prêter à confusion. J’ai donc laissé mon personnage de côté.

Je ressors ici quelques croquis de ma madame de papier.



Lundi 26 novembre 

Il y a une place dans cette ville,

par laquelle j’aime passer,

pour sa situation en hauteur,

pour son voisinage de la cathédrale de lave,

pour sa fontaine et ses terrasses habitées,

mais que je vais devoir contourner jusqu’au 30 décembre.

Car elle a été kidnappée par le marché de Noël.

Qui ne ressemble à rien.

Ni à un marché, ni à un village nordique, ni à une invitation à flaner

dans les musiques usées et les odeurs truquées.

Pourtant, j’aime les marchés, j’aime le nord, j’aime la musique,

j’aime l’odeur de la cannelle.

Et j’aime Noël, aussi, finalement.

Comme une pause dans l’hiver où je rejoins l’enfance.

Alors quoi?

Je n'aime pas qu'on m'impose une idée, et qu'on me pique ma place.

 


Jeudi 22 novembre

Résidence virtuelle, jour 53

 

Dans les limbes des serveurs

et des ondes électriques

se bricolent, pour arriver sur les écrans,

des réflexions et des détours,

sur  des chantiers en cours, des chantiers à poursuivre,

des chantiers permanents, des travaux anciens.

Se glissent aussi des chansons.

Le chantier en cours Nuages trouve ici sur ces pages électroniques

une forme photographique et géographique.

Le dessin reste encore bloqué dans la main,

qui ne parvient plus à montrer ce que j’ai derrière les yeux.

Sauf quand je les ferme.

Qaund ça bloque devant soi,

Sans doute faut-il regarder sur les côtés.

En photographiant les ciels,

je regarde en haut ce qui se passe en bas.

Tout au moins, j’essaie de le montrer.

Et je continue.


Mercredi 21 novembre

Chansons

 

Promesse d’hiver, ballade

 

En ce jour d’hiver qui s’éclaire d’une neige nouvelle,

Le ciel opalescent de brume rejoindra la blancheur des collines.

Nous sortirons alors de l’ombre de nos nuits,

Pour entrer pas à pas dans la douceur d’une ouate impalpable.

Le froid sera pour nous la morsure d’une eau vive,

La neige abolira les cassures de la rive,

Et nous irons, les bras en vol, libérés de l’espace et du temps,

Heureux de savoir,

Que des bruits du monde, du souci de comprendre,

De l’attente d’une rencontre, de la peur de rater,

De l’effroi de tomber, de l’espoir de trouver,

De l’horreur de faillir, de l’envie de partir,

Nous pouvons nous affranchir.

Épris de la brume, et gagnés par le blanc,

Nous danserons sur l’eau de nos pleurs,

Pour gagner, apaisés, de nouveaux horizons,

Sans stupeur.


Dimanche 4 novembre

Nous partirons en voyage.

 

Travaux anciens

 

 

Promesses

Une amie m’a un jour demandé de lui faire des montagnes,

car elle venait, en quittant son amoureux, de quitter aussi les Alpes

où ils habitaient ensemble. Les montagnes lui manquaient.

Je lui ai peint sur un verre d’horloge, cette promesse,

avec des montagnes issues d’un tableau du Titien.

Ça se tient, une promesse.

Nous partirons en voyage.

Nous sommes partis, nous partons, nous irons en voyage.

La promesse de voyage est pour moi celle d’un nouveau poème à vivre avec les autres. C’est très important.


Samedi 3 novembre

Le ciel d’autel de l’église Saint Bruno

joue avec l’impossible.

Ce doit être ça, la beauté.


Vendredi 2 novembre

Ici, le Rhône et la Saône ont inventé une consonance,

vers une confluence,

qui les lance à la mer.


Jeudi 1er novembre

 Persistent à mes côtés,

pour m’accompagner, me nourrir et me réjouir,

des écrits, des images et des musiques,

inventées par des vivantes et des vivants, des disparus et des éloignées.

Sur l’autoroute, sous le ciel, sur l’aire, dans les airs,

nous sommes là,

avec nos corps et nos pensées agissantes.

C’est heureux.

 

Comme il m’est toujours heureux de penser

à l’écriture de Gustave Flaubert, aux inventions de Marcel Duchamp,

au roman “Anima” de Wajid Marwad,

à l’écriture de Julio Cortazar, à la voix de Jim Morrison, à celle de Patti Smith,

à l’enregistrement public en 1972 deTake Five de Dave Brubeck,

au roman “Faillir être flingué” de Céline Minard,

aux film “Patterson” et “Only lovers left alive” de Jim Jarmush,

aux peintures de Lucas Cranach, à celles du Titien,

au portrait de sa femme par le Tintoret,

à la chanson “Volutes” de Alain Bashung.


Mercredi 31 Octobre


Mardi 30 octobre

Le soir tombe, le jour se lève,

Nous sommes là.

 

Chansons

 

Temporalité

 

Et ainsi nous allons,

au jour le jour du jour qui court vers la nuit qui dort,

et se lève, comme au premier jour,

sur le petit matin enchanté des étés passés.

Ces étés derniers où nous refaisions l’avenir,

beaucoup plus rose qu’aujourd’hui,

quand nous passions des nuits blanches

à guetter les grands soirs, à chanter les lendemains,

à célébrer le crépuscule sans dieux.

Nous nous disions bonjour, au petit jour,

quand nous étions dans nos bons jours, et bonsoir tard le soir,

si nous étions dans les sales draps des mauvais jours.

Et nous nous enlacions dedans,

en pensant très fort, passe le temps, c’est pour toujours.

Puis nous pleurions les jours anciens, jusqu’à l’aurore.

Nous étions gris de ces matins d’alors, quand comme au premier jour,

nous retrouvions la première nuit que nous avions passée dehors

en nous disant, demain c’est sûr il fera jour.

Et aujourd’hui, au jour le jour du jour qui suit son cours,

au passé du futur, avant, après, derrière, devant,

ici et là, hier, demain, c’est pour toujours. 


Dimanche 21 Octobre


Samedi 20 octobre

Qu’est-ce que Oussoulx ?

C’est un ciel, un hameau, une ferme, un hôpital.

Il n’y a rien, il y a tout.


Vendredi 19 octobre

Les rues bourdonnent. Dans le sud, les eaux montent.

 Plus loin, la terre tremble. Nous sommes là.


Lundi 15 octobre

Dans la ville, sur une place, des personnes qui ont traversé,

pour venir jusqu’ici, la terre et la mer, campent.

 

Chantiers permanents

 

La liste des lits dans lesquels j’ai dormi.

 

Je tente par l’image, et je retourne aux dessins aveugles.

On ferme les yeux, on laisse venir l’image,

on la dessine avant qu’elle ne s’en aille,

on ouvre les yeux, c’est fait.

Ici, ça donne une chambre et sa fenêtre...sur le ciel.

 

De Bruxelles.


Dimanche 14 octobre

C’est dimanche,

Le ciel se déhanche.

Le voisin de la plaine

A dit ce matin

Sa peine,

De voir chaque jour,

Venir le soir.

 

 

La terre tourne.


Mercredi 10 octobre, Clermont-Ferrand

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clermont-Ferrand, 10 octobre 2018 . 45°46’N/ 3°5’E/ 365m

Chantiers en cours

 

Les nuages

 

Ça suit son cours,

avec la photographie quotidienne du ciel de l’endroit où je me trouve.

Des gouaches sont en mijotation. Ainsi qu’une gravure sur zinc.

 

Je me préoccupe de la forme du ciel, ou de celle des nuages ?

 

Où sont les nuages,

quand le ciel au-dessus de moi est parfaitement bleu ?

Un avion laisse alors parfois sa traîne,

Et invente d’autres nuées.

C’est aussi, dans le ciel,

La présence d’humains, qui voyagent.

 

Forme des nuages,

Comment ça bouge, et qu’est-ce que ça dessine,

En levant les yeux vers le ciel,

Ce sont bien les humains, qui m’intéressent.

Paradoxe ?


Samedi 6 octobre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

45°46’N/ 3°5’E/ 365m/ 6-10-2018 ou Clermont-Ferrand, 6 octobre 2018

Chantiers permanents

 

Les mots et leur langage

 

Collecte régulière, notée ou en mémoire,

de l’usage des expressions et des mots

de la novlangue politique et économique

qui s’infiltre dans notre langage.

Il y en a qui me restent longtemps en travers de l’oreille,

comme ce nouvel usage de l’expression: avoir la vocation.

On entend à présent souvent à la radio: avoir vocation à.

Comme dans une allocution de E. Macron le 17 septembre 2018:

‘’Il y a les  réfugiés qui ont vocation à rester en France, et d’autres qui ne l’ont pas."

Ce qu’on peut associer au retour d’un usage du mot trier:

À la radio le 17 septembre 2018:  ‘’Il s’agirait d’organiser le tri en mer entre migrants."

 

Ça dérange et ça rend confus.

 

Alors,

pour respirer,

j’écris des chansons.

 

Et je commence, timidement, à les chanter.


Mercredi 3 octobre, Clermont-Ferrand

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

45°Nord/ 3°Est/ 406m ou Clermont-Ferrand/ 2 octobre 2018

Chantiers en cours

 

Le virage de l’accordéon

 

Je roule beaucoup en voiture.

J’y écoute très souvent la radio.

 

 

 

 

Il existe sur ma route quotidienne

un virage,

dans lequel les ondes radios sont brouillées.

 

 

 

 

 

Quelque soit la fréquence

à laquelle la radio diffuse à ce moment-là,

elle est à partir de ce virage,

et sur plusieurs kilomètres,

remplacée par une autre fréquence,

qui diffuse de l’accordéon.

 

 

 

 

 

 

De cette étrangeté comique,

de cette intrusion qui dérange mes oreilles,

et de cette route que je connais si bien,

j’ai envie de faire quelque chose.

 

 

 

 

 

Un film qui brasse les questions et les réflexions qui m’animent:

 

 

 

Habiter quelque part,

Être du coin, être du pays,

Ne pas être du pays, être un étranger,

Que se passe-t-il, dans le coin?

Rouler, partir, rester...

 

 

Que faire de l’accordéon de l’autre, quand on aime la guitare électrique?

 

 

Question en suspens, chantier en cours.



Mardi 2 octobre, Clermont-Ferrand

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

45° Nord/ 3° Est/ 406m ou Clermont-Ferrand/ 2 octobre 2018

Chantiers à poursuivre

 

Les choses à bosses

 

Fabriquer des objets qui poussent d’eux même,

et qui font des bosses.

Je voyais des choses rondes, et blanches, douces au regard.

 

Il y a à ce jour huit volumes en céramique.

Grès avec engobe blanche, élaborés avec les bons gestes

 

et conseils de Isabelle Dupuy, céramiste à Massiac.


En faire d’autres.

Travailler encore plus la poussée,

 

aller vers de plus gros volumes:


Ça s’approche des nuages, finalement.

C’est bien.

J’en suis là.

Poursuivre.

 


Lundi 1er octobre, Clermont-Ferrand

 

Résidence virtuelle:

 

Me vient à l’esprit l’idée amusante

 

que je vais pendant ces trois mois

 

habiter un ordinateur.

 

Je fabrique aussitôt une bulle mentale

qui contient:

un duvet, un réchaud,

protégés d’un petit toit

avec moi dessous.

 

‘’Ma maison est là où je suis’’

avais-je lu sur un mur un jour de mes 18 ans.

Je me me promène depuis avec cette affirmation.

 

 

Ça donne ce dessin aveugle (car fait les yeux fermés): 


Chantiers permanents:

 

La liste des lits dans lesquels j’ai dormi.

Lits, couchages, fauteuils, prés, plages, etc...

Commencée à 20 ans, augmentée au fil des ans,

pas complétée depuis plusieurs années.

Ça crée des images de lieux et de biographie.

Ça permet de causer avec Georges Perec, qui se proposait de le faire dans son livre  ‘’Espèce d’Espaces’’. C’est agréable de causer avec cet homme.

 

Chantiers en cours:

 

Les nuages

La forme des nuages. Qui n’a pas l’air définie et est en mouvement.

Combien y a-t-il de ciels différents au même moment au-dessus de nous?

Les peindre ou les photographier. Ou les filmer.

Je bloque depuis plusieurs mois là-dessus.

 

Alors je lance quelque chose ici avec les ciels, et l’idée d’habitation.

Car même si on a un toit sur la tête, il y a des endroits où on est vraiment chez soi.

On les fait siens.

 

Bruxelles, Venise, Marseille, ma maison dans le Cézallier,

les bords de rivières, les plages du Finistère en Bretagne,

sont des endroits où je suis chez moi. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Venise, 30 octobre 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marseille, 19 décembre 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bruxelles, 2 février 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lagarde, 23 septembre 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le lit de la Loire à Amboise, 26 août 2018 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plage de Dourveil , Finistère, 24 Août 2018

Il y a des indices du sol, dans ces images.

J’essaierai sans indice aucun.

Le lit de la Loire est un intrus, mais on dit bien un ciel de lit, pour les lits à baldaquin.

 

C’est donc bien un ciel, de lit.

Sous lequel j’aurais volontiers dormi.